Anne Frémy a un tournevis en main. Cet après-midi, la scénographe fixe les deniers cadres sur les murs de l'Auberge des soeurs Moisy, à Saint-Céneri. Des murs au jaune chaleureux, qu'habillent ici et là des pans de bois. Il flotte une odeur de résine entre les petites pièces biscornues, comme un rappel des récents travaux d'aménagement. Dehors, le compresseur des derniers ouvriers écorche la placidité du bourg.
Abandonné depuis de nombreuses années, ce grand bâtiment de pierre a été confié en 2002 au Parc naturel régional Normandie-Maine. Qui a souhaité le reconvertir en espace muséographique ressuscitant le passé artistique du village : de nombreux peintres de renom s'y retrouvèrent, fin XIXe siècle, pour s'inspirer des paysages des Alpes mancelles. Camille Corot, Eugène Boudin ou Charles Martel vinrent ici manier le pinceau aussi bien que la choppe.
Ombromanie
Les ombres chinoises peintes à même les murs dans la grande salle de l'étage, dite « des Décapités », témoignent de cette activité éthylo-picturale. La scénographe Anne Frémy a exploité leur technique, l'ombromanie, pour « en faire un vrai sujet ».
Résultat : à l'étage, une petite salle abrite un siège et une paroi translucide. L'installation permet de dessiner sur une feuille de papier les contours d'un visage. À côté, la Salle des biographies informe sur les artistes habitués de l'auberge.
En dessous, la Salle des vis-à-vis offre une expérience originale : vous vous asseyez face à un écran diffusant une peinture ; grâce à un rétroviseur sur bras articulé, vous apercevez simultanément, derrière vous, le paysage des Alpes mancelles qui a inspiré l'oeuvre.
La Salle des décapités
Le rez-de-chaussée héberge un local pour l'accueil et la grande Salle de l'observatoire : un écran interactif permet de découvrir les 66 silhouettes peintes à l'étage et, pour 36 d'entre elles, de savoir à qui elles correspondent.
Car vous n'aurez pas accès à la Salle des décapités. C'est l'une des frustrations de cette réhabilitation, qui a coûté 636 000 €. « Ces peintures sont fragiles », expliquent Ismérie Werquin, chargée de l'animation du site. On pourra regretter aussi l'extrême dépouillement des petites salles. La scénographe a eu à coeur de « ne pas dénaturer le lieu », justifie-t-elle.
Quelques aménagements viendront enrichir le lieu. Notamment un jardin très coloré, derrière l'auberge. À quelques mètres, une petite bâtisse servira de résidence d'artiste, avec une chambre en mezzanine. Elle aussi aura son jardin paysager, « en fleurs toutes blanches, pour représenter la toile vierge du peintre ».
Samedi, l'auberge des soeurs Moisy est officiellement inaugurée, à l'occasion de la 24e Rencontre des Peintres. Le public pourra se faire sa propre idée du lieu. Il sera ensuite accessible « mais sur rendez-vous auprès du Parc », précise Ismérie Werquin. L'association des Amis de Saint-Céneri devrait prendre le relais pour élargir les horaires d'ouverture.
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